Synergie d’art dentaire
Synergie d’art dentaire
Telle une maison, que vaudrait une prothèse de porcelaine sans l’implant qui constitue sa fondation? Or, la plupart du temps, les professionnels qui contribuent au résultat final travaillent dans des espaces distincts. Ce clivage entre cliniques et laboratoires, le dentiste Jason Battah le considérait depuis longtemps comme un obstacle à la pleine expression du volet prothétique de sa profession. Il avait d’ailleurs déjà partagé ses locaux montréalais avec une prothésiste à l’époque où il pratiquait à la fois dans la métropole et la capitale.
Toutefois, en 2019, alors qu’il concentre ses activités à Québec et s’apprête à emménager dans sa nouvelle clinique de Saint-Nicolas, il apprend que le céramiste de réputation internationale, Christian Ferrari, à l’académie duquel il avait déjà voulu suivre une formation en Europe, vit maintenant au Québec. Son rêve de réunir en un seul lieu les deux facettes de la médaille de l’art dentaire se concrétise enfin.
Maître céramiste
En effet, Christian Ferrari n’est pas le premier venu, ayant à son actif trois décennies de savoir-faire. Après des études à Aix-en-Provence, il passe 10 ans à Bâle, en Suisse, à peaufiner son métier. Il ouvre par la suite son labo, qui prend vite de l’ampleur, mais le succès l’éloigne de sa fibre artistique. Parallèlement, il s’inscrit pour son plaisir à un cours de photographie, ce qui l’amènera à publier un « image book », grâce auquel il prendra contact avec des entreprises pour lesquelles il développera une gamme complète de céramiques, l’une portant même son nom.
Conférencier recherché, il formera des prothésistes à sa technique au sein de son académie fondée en 2007, « des prothartistes », se plaît-il à les qualifier. « Notre référence, c’est la nature, explique M. Ferrari. Et on s’en inspire pour s’en approcher le plus possible, mais elle a encore une longueur d’avance tellement elle est complexe et magnifique. Notre idéal est de mettre en bouche des dents qui ne se voient plus tellement elles sont naturelles et s’intègrent à la personne. En réalité, c’est de l’art, comme celui d’un verrier, par exemple. » De son côté, le Dr Battah reconnaît la chance qu’il a d’offrir à sa clientèle — et à celle des dentistes avec lesquels il collabore — ce niveau de savoir-faire hors du commun, d’autant plus que la présence d’un prothésiste à même la clinique facilite énormément le processus de traitement pour les patients.
Prendre le temps
La technique mise au point et patiemment développée par Christian Ferrari s’inspire davantage des méthodes artisanales traditionnelles, résolument à contre-courant de la tendance à la modélisation numérique plus expéditive. Le travail débute sur une base en zircon, matériau dont la grande résistance lui a permis de remplacer majoritairement les structures de prothèses en alliages métalliques.
Il s’agit ensuite, par un procédé appelé stratification, de bâtir la dent en couches successives en y ajoutant différentes teintes au pinceau au fur et à mesure afin de répliquer les effets de réflexion de la lumière dont les dents naturelles ont le secret. « L’objectif est de reproduire les couleurs, la vitalité et la transparence de ce que crée la nature, d’imiter une ligne de fêlure dentaire ou des taches de fluorescence, par exemple, explique le Dr Battah.
Christian a tellement pris le temps d’étudier l’anatomie dentaire, de la photographier et de la dessiner qu’il l’a vraiment intériorisée, ce qui nous permet de réaliser en équipe des soins prothétiques incroyables se distinguant par un fort degré de réalisme. Bien sûr, cela requiert plus de temps et de compétences, mais le résultat est vraiment différent au regard. En effet, il est le fruit d’un savoir-faire représentant l’œuvre d’une vie. »
Deux mondes qui se comprennent bien…
Durant sa carrière, Christian Ferrari a toujours déploré, lui aussi, cette distance entre le monde clinique et les labos. « Travailler sur une prothèse dentaire sans avoir rencontré la personne qui la portera est monnaie courante, explique-t-il. On crée une pièce, mais sans son contexte, qui revêt pourtant une importance capitale, car la forme du visage, les éléments masculins ou féminins, ainsi que la personnalité jouent sur l’anatomie des dents. Maintenant que je vis la communication entre les deux univers, je me demande comment j’ai fait pour m’en priver!
Ici, l’approche est complètement différente : on rencontre le patient pour discuter de son cas, on procède à des essayages en cire que le praticien corrige. Mieux encore, Jason s’implique souvent au labo en réalisant lui-même des maquettes qu’on valide en bouche ensemble, ce qui nous permet de nous imprégner de l’humain. Bref, le bonheur du sur mesure! C’est ma plus grande motivation, car après 30 ans de carrière et de perfectionnement, j’étais mûr pour aller au-delà du connu. Au point où j’en suis, si je ne faisais que de la production, je pense que je songerais à la retraite. »
Le Dr Battah abonde dans le même sens : « Un sourire reflète beaucoup la personnalité. Croire qu’on peut tomber pile sans rien connaître de la personne qu’on traite équivaut à un coup de dés… Cela dit, j’éprouve autant de plaisir à m’asseoir au labo qu’à pratiquer la dentisterie, car les deux expériences se complètent et forment un tout. Comme l’implant et sa couronne, elles correspondent à des aspects différents de ma personnalité. L’expression artistique au labo me libère des tensions découlant de la gestion du travail clinique, et j’y trouve un équilibre.
Peut-être un jour aurai-je plus de temps pour explorer la céramique elle-même? Ça m’attire et ça m’anime! C’est formidable que chacun de nous comprenne parfaitement ce que l’autre fait. Au bout du compte, le patient en sort gagnant. Mener à terme les cas ensemble est pour nous la véritable satisfaction ; chaque fois que nous procédons à la mise en bouche d’un pont fixe sur implants pour réhabiliter un patient ayant vécu le trauma de multiples extractions et le port d’une prothèse amovible et que celui-ci voit ainsi s’effacer des décennies de mésaventures dentaires, que demander de plus? »
Cet article a auparavant été publié sur le site Web du magazine Prestige.